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Litanie des ongles

Il ne m'est pas possible d'écrire sans me ronger les ongles.

Lorsque je ne me ronge pas les ongles, il m'est impossible d'écrire.

Je me ronge aussi les ongles lorsque je suis assis le matin à ma table de travail, lorsque je mâchonne des idées, ou lorsque je conduis.

Il m'arrive souvent de ruminer une idée d'écriture en conduisant (sans qu'il me soit possible d'affirmer que les deux choses soient liées, écrire et conduire).

J'éprouve souvent une forte impression de liberté lorsque je conduis. Parfois aussi lorsque j'écris.

Je me ronge davantage les ongles l'après-midi, ou le soir, que le matin. Le matin, il m'est par ailleurs impossible d'écrire. Couché, assis, debout, le matin : je dors.

Je ne mange pas mes ongles, je les ronge.

Lorsque je me ronge les ongles, il me semble que rien n'est possible (à commencer par ne pas me ronger les ongles).

J'aime conduire.

Je ne me ronge pas seulement les ongles, je les trifouille avec de petits bâtons, des pinces de toilette, différents types de limes en bois (mais que peux-tu donc trouver encore à te limer ? me dit-on parfois), je les déchiquète avec les autres ongles, eux-mêmes rongés, et même avec un cutter ou un Opinel ; et bien sûr je fais de même avec les peaux, les petites peaux.

En me rongeant les ongles il arrive que je me fasse très très mal.

Me ronger les ongles m'angoisse et me permet pourtant de cracher cette angoisse (angoisse d'écrire, en particulier).

On me dit souvent aussi « quand même, tu devrais t'arrêter de te ronger les ongles ! », et je réponds généralement « pour quoi faire ? » ou bien que je n'en vois pas l'utilité. En y réfléchissant, je m'aperçois qu'il ne m'est pas possible de savoir si je ne m'arrête pas parce que je n'en ressens pas la nécessité, ou bien s'il m'est (me serait) tout à fait impossible de cesser de me ronger les ongles.

J'aime conduire le soir, et la nuit lorsque tout le monde est couché.

J'aime écrire.

Parfois l'angoisse me prend de ne plus avoir d'ongles à ronger, qu'un jour, pris de découragement, ils ne cessent tout simplement de pousser.

Je crois que j'aime me ronger les ongles.

Je range mes ongles dans de petites boîtes d'où, lorsqu'il me prend envie d'écrire, je tire quelques idées.